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Nadine Labaki: «Oui, une fiction peut changer le monde!»
Oui, une fiction peut permettre de remuer des consciences politiques et faire évoluer positivement des situations catastrophiques. La preuve par Capharnaüm, de Nadine Labaki, qui met en lumière la misère et le sort tragique des enfants des rues au Liban [voir ci-dessous].
Car si ce film coup de poing, Prix du Jury du Festival de Cannes 2018 et sélectionné pour la course aux Oscars 2019, a bouleversé les spectateurs, il a surtout provoqué une onde de choc dans son pays. Au point que la réalisatrice rencontrera politiciens et membres du gouvernement afin d’essayer d’élaborer des solutions concrètes. Explications…
FEMINA Vous dites croire «au pouvoir du cinéma, à la responsabilité de l’art» pour faire bouger le monde…
Nadine Labaki J’y crois profondément, en effet. C’est d’ailleurs l’intention initiale de ce film!
La bande-annonce de Capharnaüm, en salle actuellement YouTube
C’est-à-dire?
Il y a plusieurs niveaux. D’abord, sur un plan plus limité, les comédiens de Capharnaüm ne sont pas des professionnels. Dans mon film, ils ont joué des vécus très proches des leurs et ont aujourd’hui une nouvelle vie.
Ensuite, plus largement, avec l’aide de l’Unicef, du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies ainsi que d’ONG et d’associations œuvrant pour les droits des enfants, nous sommes en train d’organiser des ateliers de travail avec les différents ministères impliqués dans le drame des gamins des rues: Éducation, Affaires sociales, Justice… notre but est de trouver des solutions concrètes, de voir comment mettre en place des structures afin d’aider les enfants en difficulté à s’en sortir!
«J’agis sur le terrain pour aider les migrants»
Ce problème n’est pas spécifique au Liban!
Non, c’est en effet une problématique universelle. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder ces ceintures de misère qui entourent les métropoles de la planète et dans lesquelles les problèmes s’accumulent!
Pour en revenir au Liban, que je connais de près, l’une des plus grandes aberrations du système tient au fait qu’on doit payer pour déclarer la naissance d’un bébé. Or, de nombreux parents n’ont pas l’argent nécessaire. Cela a de graves conséquences, car en déniant à l’enfant son droit à avoir une identité, on le prive du même coup du droit à la scolarisation, aux soins hospitaliers et médicaux, à obtenir un travail officiel.
Ne craignez-vous pas que l’establishment, libanais en l’occurrence, préfère finalement continuer à fermer les yeux et que tout cela reste au stade des intentions?
Les contacts sont pris et cela va donc se passer! Maintenant, oui, il y a de petits pincements et des susceptibilités un peu froissées par ce que je montre, mais on va dépasser ça! Les responsables politiques sont conscients des défaillances du système et de l’ampleur du travail à fournir, et je compte sur la bonne volonté de quelques personnes qu’on va croiser dans cette démarche pour essayer de faire aboutir des projets et apporter des améliorations! En unissant nos forces et nos envies respectives de faire quelque chose, nous pourrons y arriver!
Rencontre avec Reveka Papadopoulou, présidente de Médecins sans Frontières Suisse
«Capharnaüm» en quelques mots
Zain, gamin des rues de Beyrouth, porte plainte contre ses parents, réfugiés syriens, au motif qu’ils lui ont donné la vie sans avoir les moyens de lui offrir une identité, une éducation, la sécurité.
En partant de l’histoire de Zain, on découvre le destin de ceux que Nadine Labaki appelle «les invisibles». Dur, mais plein d’espoir, aussi.
Actuellement en salle.