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«Je fais la lecture aux personnes seules»

Barbara lectures personnes seules PHOTO Corinne Sporrer

(...) au début, j’étais seule, très seule. Personne ne croyait en mon idée. Les gens dans la solitude, visiblement, ça n’intéressait pas grand monde.

© Corinne Sporrer

J’avais repris des études sur le tard, à 33 ans, aux Beaux-Arts, à Genève. Je voulais faire du cinéma documentaire mais, évidemment, pas facile de percer dans ce domaine, surtout en Suisse. A cette époque, j’avais une amie qui avait 87 ans. Une petite dame adorable, avec un chignon toujours impeccable, la même jupe longue, une blouse à manches bouffantes et des baskets, parce qu’elle marchait beaucoup!

Elle avait perdu son mari après 50 ans de mariage et elle a commencé à avoir des soucis aux yeux. Glaucome et cataracte. Pour elle qui adorait la lecture, c’était la catastrophe. C’est comme ça qu’une fois elle me dit:

«Puisque tu ne travailles pas, tu ne voudrais pas venir me voir de temps en temps pour discuter?»

Parce que, comme c’est souvent le cas, son petit-fils avait d’autres choses à faire, sa fille bossait loin… bref, du coup, je suis allée à la maison de convalescence la trouver et, franchement, assez rapidement, on n’avait plus trop de sujets de conversation! C’est là que le déclic s’est fait: et si je lui lisais un livre, elle qui dévorait des romans?

On a commencé avec Narcisse et Goldmund, d’Hermann Hesse. C’était idéologiquement très intéressant, ça nous a permis de discuter longuement sur la philosophie de ces deux personnages opposés.

C’était vraiment de chouettes moments, qui m’ont aussi beaucoup apporté. Comme mon amie ne pouvait plus lire pendant de longues semaines, on a terminé ce livre, puis on est passé à d’autres… ça m’a cultivée en même temps!

La solitude, un business qui n'intéresse pas grand monde

C’est là que je me suis dit que ça pouvait devenir une activité. Au lieu de faire des films documentaires, essayer de faire quelque chose de nouveau, qui n’avait pas encore été fait.

Petit à petit, l’oiseau a fait son nid. J’avais toujours œuvré dans le social, ça faisait une sorte de continuité pour moi, car en visitant mon amie, j’avais réalisé l’extrême solitude de ces personnes âgées. Dans ces maisons de convalescence, mais pas seulement.

A l’hôpital, en EMS, en foyer, c’est partout pareil. Les gens vont parfois les voir et réalisent qu’après trois visites ils n’ont plus rien à se dire et se découragent. Leur faire la lecture, c’était la solution.

Alors oui, au début, j’étais seule, très seule. Personne ne croyait en mon idée. Les gens dans la solitude, visiblement, ça n’intéressait pas grand monde.

Toutefois, j’ai tenu bon et j’ai aussi été humainement soutenue par des amis. Peu à peu, les choses ont commencé à se mettre en place: j’ai trouvé un nom, Lecture et Compagnie, et j’ai commencé, seule d’abord. L’association est officiellement née en 1996.

On a ensuite été deux, puis trois, il y a eu quelques articles dans les journaux et on a commencé à grandir un peu. Oh, les choses se sont faites lentement! Au départ, on faisait la lecture à domicile, puis dans certaines structures, EMS, hôpitaux, cliniques, foyers handicaps… on a commencé à recevoir des dons, des subventions de différentes fondations, des communes aussi qui nous ont aidés.

J'ai 8 ans et j'ai vendu des biscuits pour aider des enfants malades

Notre concept est simple: on veut rendre les journées de ces personnes seules plus agréables. Dès lors, on arrive chez les gens avec notre bonne humeur et, durant deux heures, on discute, on passe du bon temps et on fait en même temps quelque chose d’intellectuel, c’est notre mission.

De la lecture à la base, mais aussi des jeux de société si on nous le demande. Tant qu’il y a une dimension cérébrale, en somme. Pour une personne avec un handicap mental, il peut nous arriver de jouer au Memory, par exemple.

Continuer, malgré tout

Aujourd’hui, nous avons une cinquantaine de lecteurs et le même nombre, plus ou moins, d’auditeurs – c’est comme ça que nous les appelons. Leurs profils sont très variés. Nous avons évidemment beaucoup de personnes âgées, mais pas uniquement.

Il y a des malades, notamment pas mal de jeunes qui ont une sclérose en plaques ou d’autres maladies dégénératives. Une personne est atteinte de fibromyalgie, elle souffre énormément. Leur dénominateur commun, c’est qu’ils sont seuls et qu’ils en souffrent. Certains parce qu’ils n’ont pas – ou plus – de famille, d’autres parce qu’ils vivent loin de chez eux. Maladie, handicap, âge, qu’importe!

Une chose est très importante à souligner: nous ne sommes pas des thérapeutes. On essaie simplement d’apporter un peu de compagnie. Grâce aux subventions que nous touchons, on peut aussi offrir nos services à des gens qui ont moins de moyens.

Car question de respect envers nos lecteurs aussi, qui sont bénévoles mais touchent une petite indemnité, on demande une participation de la part des auditeurs.

La suite? Après 22 ans où mon appartement a fait simultanément office de siège de l’association, nous avons enfin trouvé un local, grâce à un généreux donateur. Autrement, je continue à courir derrière les financements, ce qui n’est pas la partie la plus agréable du boulot!

Nous avons fêté nos 20 ans il y a deux ans, cela nous a offert un tremplin, nous avons toujours plus de gens qui nous font confiance: du personnel soignant, des assistants sociaux, des médecins, des aides à domicile ou des voisins qui font appel à nous ou déposent simplement un de nos flyers chez la personne qui pourrait profiter de nos services.

Il y a certainement quelqu’un dans votre entourage qui pourrait bénéficier de Lecture et Compagnie: un voisin ou une grand-maman, par exemple, et vous pouvez le ou la parrainer.

Je suis à la retraite depuis janvier 2018, mais je ne veux pas arrêter, j’adore ce que je fais. Nous recevons beaucoup de témoignages, des gens qui nous écrivent ou nous appellent pour nous dire que nous avons changé leur vie, c’est tellement gratifiant. Alors oui, nous allons continuer à les aider.

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