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«Malgré sa schizophrénie, ma maman n’a pas changé»

Malgré sa maladie psychique, ma maman n’a pas changé

«Quand on me pose des questions sur sa maladie, je renvoie les gens vers elle. Elle est quand même bien mieux placée que moi pour répondre.»

© Sophie Brasey

Schizophrénie, c’est un mot souvent employé à tort et à travers. Moi même, avant d’y être intimement confrontée, je faisais partie de ceux qui utilisaient ce terme à mauvais escient, pour, par exemple, évoquer une situation ubuesque ou un dédoublement de personnalité. Aujourd’hui, je sais exactement ce dont je parle.

Cette maladie psychique, car c’en est une, peut être terrible, entraînant une désocialisation importante et beaucoup de souffrance pour la personne touchée et son entourage. Les faits divers qui y sont associés et que l’on peut lire dans les journaux sont souvent choquants, enfermant la schizophrénie dans un schéma forcément morbide. Maintenant que je connais cette maladie, cela me révolte à chaque fois, car cela contribue à faire peur. Et à isoler peut-être davantage les malades. Pourtant, la schizophrénie revêt de multiples aspects et se manifeste sous des formes très différentes selon les individus. Elle est bien trop complexe pour être caricaturée.

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Une vie ordinaire

En ce qui nous concerne, elle s’est invitée dans notre vie il y a onze ans. Ma maman abordait la cinquantaine. Moi, à 25 ans, je terminais tout juste mes études de lettres. A l’époque, ma mère, d’origine mexicaine, travaillait à l’étranger, pour une grande multinationale basée en Suisse. Mon père et moi -je suis fille unique- étions restés à Lausanne où elle nous rejoignait le plus fréquemment possible. Professionnellement, elle avait un quotidien assez stressant, elle était très consciencieuse, efficace. Côté vie privée c’était déjà une femme très active, avec un beau cercle d’amis, une belle existence intérieure, très ouverte aux autres et au monde.

Elle faisait aussi beaucoup de sport, avait une vie très saine. Bref, c’était une maman tout ce qu’il y a de plus normale. Rien ne laissait présager ce qui allait arriver...

Il faut savoir que les hommes et les femmes ne sont pas égaux devant la schizophrénie. Pour les hommes, le moment auquel la maladie a le plus de risques de se déclarer est l’entrée dans l’âge adulte. Pour une femme, il faut ajouter à cette première période à risque celle de la périménopause. A 50 ans, ma maman, comme nombre d’autres femmes de cet âge, commençait à ressentir les effets de ces modifications hormonales. Nous en avions parlé un peu ensemble, comme une mère peut le faire avec sa fille.

«Je ne l'ai pas reconnue»

Quelques jours avant l’un de ses retours à Lausanne, je l’avais eue au téléphone. Elle paraissait un peu agitée, tendue, anxieuse. J’ai mis cela sur le compte du stress professionnel. Mais, le jour même où elle est arrivée à la maison, je ne l’ai plus reconnue. Pour moi et pour mon papa, c’était très choquant.

Elle était très agitée, inquiète ou étrangement obsessionnelle. Ça n’était plus elle, elle employait même un vocabulaire que je ne lui avais jamais connu. C’était très déstabilisant, effrayant et bizarre.

Nous nous sommes rendus aux urgences du CHUV, impuissants à calmer son anxiété. Là, après plusieurs examens, le médecin nous a annoncé qu’elle avait décompensé. Pour faire simple, une décompensation est un décrochage de la réalité qui se caractérise par un comportement monomaniaque, angoissé avec des idées irrationnelles. A l’hôpital, devant l’ampleur de la crise, les médecins ont décidé d’une hospitalisation à des fins d’assistance, qui est une décision très encadrée, soumise à l’autorisation du médecin cantonal.

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Elle est restée à l’hôpital quelques semaines puis a repris le cours de sa vie, avec un traitement médicamenteux et un retour à Lausanne pour poursuivre son activité professionnelle. A ce stade, le diagnostic de sa maladie n’avait pas encore été posé. Ce n’est qu’après sa troisième hospitalisation en trois ans, et toujours à la même époque de l’année, que le mot schizophrénie a été prononcé.

Ma mère avait une forme cyclique de la maladie, comme environ un tiers des malades, qui font des crises régulières après lesquelles ils redeviennent fonctionnels et récupèrent complètement.

Ces périodes de calme dans la tempête ont permis à ma maman de prendre la barre de son navire agité. Elle fait ses choix avec son médecin, décide elle-même de ce qu’elle accepte pour aller mieux. Elle a même pu décider de directives anticipées selon ses souhaits. Elle a un traitement médical en continu, qui comporte des effets secondaires pénibles, car il faut dire que les médicaments prescrits dans le cas de cette forme de psychose n’ont que peu évolué depuis des décennies. Mais, heureusement, ma mère n’a jamais dit non à son traitement, elle en accepte les lourdeurs, même si le refus de la médication est un des symptômes possibles de la schizophrénie.

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Un lien familial maintenu

Elle n’hésite pas à faire appel elle-même à son médecin dès qu’elle sent que cela ne va pas. En fin de compte, grâce à une constante vigilance, elle n’a pas beaucoup changé, a continué à travailler jusqu’à sa retraite. Elle voyage, sort, voit des amis. Tout juste est-elle parfois plus soucieuse. Ce que je craignais le plus à l’annonce de la maladie, c’est à dire la rupture du lien social et familial, n’est pas arrivé. Nous avons la chance d’avoir pu mettre en place un système de soins très efficace, avec notamment une infirmière spécialisée qui est une parfaite référente. De mon côté, j’ai pu me faire suivre par mon médecin pour juguler mes propres angoisses.

Dès le début, ma mère m’a impressionnée, car elle a tout de suite décidé de bien se soigner, de ne pas baisser les bras. Elle n’était ni en colère, ni découragée et parfois, c’est moi qui rageais face à sa maladie.

Maintenant, quelques années après le diagnostic, je peux en parler plus sereinement. Quand on me pose des questions sur sa maladie, je renvoie les gens vers elle. Elle est quand même bien mieux placée que moi pour répondre. Ce qui me perturbe encore un peu peut-être, c’est lorsqu’on me demande si c’est héréditaire. Même si une certaine vulnérabilité peut être génétique, la question est bien plus vaste. Mais ce que je souhaiterais surtout, c’est que l’on en finisse avec la stigmatisation des maladies psychiques. J’aimerais dire que, dans certains cas, si l’on est bien suivi, on peut s’en sortir et avoir une vie et des relations normales. Que, les personnes qui souffrent de schizophrénie sont malades. Mais ne sont pas folles.

Les Journées de la schizophrénie auront lieu du 16 au 23 novembre 2019 en Suisse. Au programme, portes ouvertes, conférences, expositions...

L'Îlot, l' Association de proches des personnes souffrant de troubles psychiques

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